Source text - French
LA CHRONIQUE
Euro-islamisme
par Bernard Guetta
Ils passent à la cravate, italienne et baroque, façon Versace. Certains gardent la barbe, mais taillée si court, si soigneusement négligée, si mode qu'ils n'ont plus rien d'islamistes. En Turquie, les islamistes n'aiment plus l'islamisme.
C'est désormais l'Europe qu'ils aiment, parce qu'elle imposera, disent-ils, la démocratie à leur pays, que leurs militaires ne pourront plus, dans une Turquie européenne, les tenir à la lisière de la vie politique, qu'ils seront enfin libres d'accéder au pouvoir sans que l'armée, comme il y a trois ans, les en chasse aussitôt.
Pour eux, l'Europe a d'abord été une arme, une conversion tactique, mais les mots pèsent en politique. À force d'affirmer leur soudain attachement au modèle européen, à l'État de droit, à la tolérance et à la démocratie, à force de retourner ces principes contre ceux qui leur refusaient la liberté au nom des libertés, ils intègrent les valeurs qu'ils combattaient autrefois.
Ce n'est pas seulement l'habit qui change, Ce sont aussi les esprits. Mustafa Sen, par exemple. Costume souple et lunettes légères, 35 ans, il présidait hier la Fondation de la jeunesse nationale, ancien fer de lance de l'islamisme turc. Devenu consultant et chef adjoint du département international du Fazilet, le Parti de la vertu, il explique aujourd'hui que, si sa femme décidait d'abandonner le voile, il n'en divorcerait pas pour autant.
«Nous avons été rigides, dit-il, car nous adhérions à une idéologie, l'islamisme, qui est partout en échec et qui a déjà échoué en Turquie. Aujourd'hui, pour la première fois, nous lisons vraiment, nous découvrons notre religion, qui dit : " Il n'est pas d'autre Dieu que Dieu ". Cela signifie, commente-t-il, que lui seul peut édicter des règles, que la décision de porter ou non le voile n'appartient qu'aux femmes, puisqu'il leur laisse la liberté de choix.»
«Ni l'État ni les musulmans, poursuit-il, personne ne peut aller contre ce droit, car les droits de l'homme et la liberté sont inscrits dans l'islam. Un musulman se doit de vivre en musulman, un chrétien en chrétien et, si vous êtes athée, rendez-vous dans l'au-delà, mais libre à vous de vivre en athée.» Le discours se cherche encore.
L'Express, le 1/6/2000, (p. 29)
(Extrait) |
Translation - English
THE CHRONICLE
Euroislam
by Bernard Guetta
They wear eccentric Italian-type ties, Versace style. Some still wear beards, but cut so short, so neatly unkempt and so fashionable that they no longer look like Islamists at all. In Turkey, Islamists no longer like Islam.
Henceforth it’s Europe that they like, because they say it will impose democracy on their country; their military will no longer be able to keep them out of politics in a European Turkey, and they will finally be free to come to power without being immediately overthrown by the army, as happened three years ago.
At first they regarded Europe as a weapon: theirs was a tactical conversion, but words carry weight in politics. By asserting time and time again their sudden attachment to the European model, to a legally constitutional government, to tolerance and democracy, and by repeatedly turning these principles against those who refused them their freedom in the name of freedom, they assimilate the values which they used to fight.
It is not only the look that has changed, but also the way of thinking. For example, 35-year-old Mustafa Sen, wearing a casual suit and light-weight glasses, presided until recently at the National Youth Foundation, former spearhead of Turkish Islam. A consultant and assistant director of the international department of Fazilet – the Virtue party – he explains that even if his wife decided to abandon the veil, he wouldn’t necessarily divorce her.
“We have been rigid,” he says, “because we stuck to an ideology – Islam – which is failing everywhere and which has already failed in Turkey. Today for the first time we are really reading; we are discovering our religion according to which ‘There is no God but God’. He comments: This means that only He can dictate the rules, and that the decision on whether women should wear a veil or not belongs only to them, since He gave them the freedom of choice”.
He continues: “Neither the state nor Muslims, or anybody else, can go against this right, because human rights and the right to freedom are part of Islam. A Muslim must live as a Muslim, a Christian as a Christian, and if you are an atheist, see you in the hereafter, but you are free to live as an atheist”. The discourse is still muddled.
L’Express, 6/1/2000 (p. 29)
(Excerpt) |